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Pourquoi le confinement nous est-il insupportable?

Le philosophe et écrivain Fabrice Midal pose la question dans une vidéo datée du 6 mai. (À découvrir ici : https://www.facebook.com/FabriceMidal/videos/524379711564648/)
En effet, l’expérience que nous venons de vivre est bien loin d’être une solitude consentie, comme peut l’être par exemple une retraite spirituelle. Comment rester immobile et coi sous une menace qui s’impose à nous d’une manière à la fois urgente et fantomatique ?…. Petit à petit, nous avons observé le monde se retirer de nos vies, comme si, remarque Fabrice Midal, on perdait peu à peu « la chair du réel ». De nos vies appauvries en rencontres et en espace, ne restent que les squelettes. Il nous encourage à nommer, à comprendre cette épreuve particulière qui nous change peu à peu en fantômes.
Il est vrai que chacun s’est vu dépouillé de ce qui fait sens dans sa vie. Pour certains, il s’agit de la disparition de la sphère publique, de l’effacement de leur personnage professionnel ou de celui des valeurs essentielles de leur métier. Pour d’autres, c’est la sphère privée qui a changé de visage. Notre maison, notre refuge, est devenue une contrainte. Dans notre vie intérieure également, nous avons parfois dû à apprendre à nous déconnecter de ce que dictaient notre cœur ou notre instinct : nous n’avons pas pu accourir au chevet de nos proches malades, nous n’avons pas pu nous pencher sur le berceau des nouveaux-nés. Nous avons, en souriant, conservé des relations avec leurs hologrammes numériques. Tout s’est disloqué, d’une manière presque imperceptible.

Comme Fabrice Midal, je pense qu’il y a dans ce dépouillement quelque chose qui nous réduit petit à petit à l’état de squelettes « débarrassés de la chair du monde ». Quel sens donner à cette épreuve ? Dans les sociétés humaines, c’est l’inscription dans un mythe qui structure et construit l’identité collective, qui crée le sens du réel. Quel est le mythe qui expliciterait ce temps si particulier ? À mon sens, il faut moins le créer que s’en souvenir.

Il y a en effet, dans l’ancienne tradition chamanique une réponse fascinante à cette question du dépouillement. Il s’agit du rite initiatique de démembrement, le rite de passage par excellence pour l’apprenti chamane, qui est amené à percevoir son propre squelette par l’exercice de la transe ou de la méditation. De nombreux récits anthropologiques décrivent ces visions terrifiantes où le chamane se voit découpé, déchiré, dépecé, et contemple ensuite sa propre carcasse avant d’être réassemblé. Cette expérience spectaculaire est pour lui un enseignement spirituel profond. Selon l’historien des religions Mircéa Éliade : «Se réduire à l’état de squelette équivaut à un renouvellement total, à une renaissance mystique».
Le chamane y découvre ses propres pouvoirs de guérisseur. Il faut comprendre que le démembrement est une étape de la guérison, le début d’un chemin spirituel, un voyage transformateur qui aide à transcender la perception habituelle de la réalité. Être démembré, c’est devenir la blessure-même. Ce rituel permet d’abord de prendre conscience de ce qu’on a perdu, de se contempler sans chair. Quand on est débarrassé de notre chair, de notre personnage social, de ce qui constitue notre identité habituelle, nous sommes aussi débarrassés de ce qui fait de nous de la nourriture, quelque chose de périssable. L’expérience visionnaire d’exister sans corps permet de se connecter à notre nature spirituelle, lumineuse. C’est une expérience de libération à partir de laquelle s’ouvre une perspective nouvelle. L’étape suivante est le moment de renaître de ses os et de recevoir une chair nouvelle. Nous sommes réassemblées, régénérés.
Car le mythe du démembrement nous rappelle qu’à la mort succède la renaissance. La réalité ne s’inscrit pas dans la dualité vie/mort, mais dans le cycle vie/mort/vie. Il y a résurrection. « La vie est toujours en train d’incuber une nouvelle vie, même lorsque l’existence d’un être est réduite à des os » explique la psychanalyste Clarissa Pinkolà Estès dans son passionnant ouvrage « Femmes qui courent avec les loups ». Les différentes épreuves auxquelles nous sommes confrontés dans la vie sont là pour favoriser notre expansion et notre évolution.

Les traditions sont multiples où se retrouvent cette même symbolique. Dans la vision d’Ezéchiel, des ossements desséchés reprennent vies sous forme d’une armée. Dans le mystérieux et macabre rituel tibétain de Chöd, les lamas invitent les esprits à se repaître de leur corps. Et dans les légendes inuits, la femme squelette chante par amour pour retrouver sa chair perdue…

Quelle place donner à ce mythe dans notre société contemporaine ? On peut tout d’abord chercher à comprendre comment nous allons renaître au sein du monde et sous quelle forme, car, comme le prophétise le sociologue Edgar Morin : « Le probable est la désintégration. L’improbable mais possible est la métamorphose. »
Alors, s’il est temps de s’initier à l’art de mourir pour renaître de nos cendres, commençons par nous poser cette courageuse question : « Qui est mort et qui d’autre va sortir de la chrysalide? »